Les Masques
Avec un masque il peut rougir
Sans qu’on le voit, sans qu’on se moque,
Lorsque son cœur sent resurgir
Le tremblement qui le disloque,
Mais ne pouvant voir le visage,
Sous le masque de la serveuse,
Il juge d’après les présages
Qu’offre la courbure trompeuse
De ses hanches et de ses seins ;
Comme si l’œil pouvait prédire
Une figure et son dessin
En écoutant se contredire
Les indices du féminin ;
Quand le fantasme qu’il se forge,
Son sang, sa sève et son venin,
S’amarre au-dessus de la gorge
De celle qu’il épie en vain,
De celle, réduite au silence,
Qui ne creuse plus de ravin,
Qui ne transperce de sa lance
Plus le sommeil d’aucun amant,
Depuis qu’un voile sur ses lèvres,
En s’imposant trop lourdement,
Est venu prévenir les fièvres.
Ces masques faits pour l’hôpital
Qu’aucune chaleur ne colore
Couronnent l’homme instrumental
Au diapason de son folklore ;
Ainsi, chacun de leur côté,
Le jeune esthète et la serveuse
Sont à eux-mêmes ligotés
Pour soulager quelques nerveuses
Privés du secours d’un sourire,
Les regards qu’à peine ils échangent
N’auront jamais l’art de transcrire
Les sentiments qui les démangent ;
En scrutant le bleu des fenêtres
Qui prétendent donner sur l’âme,
Ils ne verront jamais paraître
L’émissaire de cette flamme,
Qui, faute d’airs provocateurs,
Étouffe sous les barbelés,
Quoi qu’il en coûte salvateurs,
Du saint-patron des muselés ;
Mutilé par ce sacrilège,
Le visage est anéanti,
Comme un mage sans sortilèges,
Comme un maître sans apprenti,
S’il avait pu la trouver belle
Comment l’aurait-il abordée ?
Il doute en soufflant la chandelle
De cette passion sabordée.