Proses

« On ne veut pas seulement être compris, quand on écrit, mais encore, de manière tout aussi certaine, ne pas être compris. Ce n’est encore nullement une objection contre un livre, que le premier venu le trouve incompréhensible : cela entrait peut-être justement dans l’intention de son auteur, - il ne voulait pas être compris par le premier venu. Tout esprit et tout goût vraiment noble choisit aussi, lorsqu’il veut se communiquer, ses auditeurs ; en les choisissant, il trace simultanément ses limites à l’égard “des autres”. » Nietzsche, Le Gai Savoir, 381

Étant donné le nombre faramineux de prosateurs inclusifs, la quantité astronomique de gratte-papiers obnubilés par l’idée de combler la multitude, je trouve tout à fait approprié de n’écrire pour personne ou presque. Je ne vois pas qui pourrait s’en plaindre. Tout le monde croule déjà sous les ouvrages calibrés pour lui plaire. Ceux qui ne les lisent pas ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes, je n’y suis pour rien.

N’ayant nullement l’intention de m’adresser à tout le monde, je ne me sens pas davantage obligé d’écrire comme lui. Sa langue de tous les jours, je ne l’entends que trop. Ceux qui ne peuvent pas s’en passer une minute trouveront sans peine des plumitifs disposés à satisfaire leurs appétits d’authenticité. Je n’ai pas envie de jouer à ce jeu-là. De toute façon, les pensées qui m’obsèdent exigent d’autres instruments. Pour aborder ces rivages qu’il dédaigne, mes proses doivent convoquer des tournures que le troupeau ignore et des mots qu’il délaisse.

Cette écriture n’est pas faite pour lui, mais il ne peut s’empêcher d’y fourrer son nez. Ça ne lui plaît pas qu’on ne fasse pas les choses à sa manière. Il sent bien qu’il se trame quelque chose de pas net et je ne peux pas lui donner tort. J’exalte ce qu’il exècre et je fustige ce qu’il fantasme. À peine a-t-il besoin de me lire pour comprendre que je n’écris ni pour son bien ni pour le mien. Il est vrai que je fouille dans des coins qu’il serait plus raisonnable de fuir, à la recherche de la petite bête et du truc qui cloche, que je me fais mal au crâne en composant mes textes parce que c’est le prix à payer pour que la réalité se dévoile. Je n’ai pas besoin de mise en garde, je sais qu’en me creusant la tête, je ne fais qu’aggraver les choses, mais je n’en ai cure, je n’écris pas pour guérir. Mes proses sont des symptômes, pas des remèdes. Au fond, tout ce que je rédige relève de la pathologie et ne peut par conséquent parler qu’à des malades.

Nilitch

Si vous n'êtes pas une jeune admiratrice, vous perdez probablement votre temps.

nilitch@protonmail.com

Il ne me semble pas nécessaire d'avoir le ventre vide pour écrire des poèmes.

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